Un aphorisme important des Yoga-Sutras (un des textes de référence du yoga) recourt à l’image naturelle de la terre : « Comme le paysan rompt la digue qui empêche l’eau de s’écouler sur ses terres, l’élimination des obstacles est à l’origine de toute transformation » (IV-3, traduction de Françoise Mazet).

L’enseignement viniyoga (centré autour de l’adaptation des techniques à chaque personne) du yoga prend pour modèle de pensée le travail du paysan : « Tout ce qui doit être est dans la terre : le sol, la graine, le soleil, l’eau. Nous sommes comme ce champ : la graine et tout ce qu’il faut est en nous, mais pas à la bonne place » dit Desikachar (yogi indien, 1938-2016, qui a contribué au développement du yoga en occident). Selon lui, les techniques du yoga visent seulement à écarter les obstacles, à déplacer habilement les lignes, pour que l’énergie vitale s’écoule où il faut en nous-mêmes, à la manière d’un fermier qui irrigue son champ.

Les transformations se produisent alors en soi naturellement, automatiquement, silencieusement. Faire du yoga, c’est renouer avec cette source primordiale, qui est déjà là en chacun de nous, mais qu’il nous faut « dé-couvrir » (enlever ce qui couvre). Notre devoir personnel (svadharma) consiste, en premier lieu, à désencombrer et à reconfigurer le « champ » que nous sommes, pour ensuite le cultiver et l’entretenir dans la durée, avec tout notre soin et notre attention. Il s’agit de devenir en quelque sorte un expert en « culture de soi », pour reprendre l’expression de Michel Foucault à propos des exercices spirituels dans la philosophie antique : « On doit être pour soi-même, et tout au long de l’existence, son propre objet ». Le yogi est le fermier de soi, ou plus exactement le fermier du Soi.

Extrait de « Un yoga occidental », de Philippe Fillot, éditions Almora.